Au Zoo de Lausanne

éditions du Groupe de L'Ours
autour du lettrisme, des situationistes, de l'Oulipo et la pataphysique
Se dire lettriste toujours, parce que ça fait hurler les chiens.

Antoine Grimaud

Chapitre XX

DANS LEQUEL FIXIDORE FIXOURS
S’AGRIFFE SOLIDEMENT
À TIOMIEZ LUPP


Myb. Lupp ignorant tout des orages amoncelés au-dessus de sa tête faisait visiter la cité à Sheb. Aourseda. Maintenant qu’il s’était chargé de la mener en Oursope, il se préoccupait de son confort. Si son domestique et lui pouvaient courir le globe baluchon à l’épaule, une jeune oursonne de sa qualité se devait de toujours trouver à portée de patte ses accessoires et affiquets, fanfreluches, breloques et autres colifichets. Myb. Lupp y pourvut tout naturellement et lorsqu’elle protestait, craignant de lui être une trop lourde charge, ou une gêne, il grommelait :

“ Ne vous souciez point, monourse, rien de tout cela n’entrave la bonne marche de mon projet. ”
Ils firent porter le tout à la caverne de repos et soupèrent à la grande roche commune, couverte de mets succulents. Sheb. Aourseda, un peu lasse, ayant à la mode de son pays reniflé la patte et la truffe de Myb. Lupp, regagna sa tanière.

Notre gentillours déchiffra encore, des heures durant, de vieux numéros du Temps et du Long’Ours Illustré.

Remarqua-t-il l’absence de son gars-ours domestique ce soir-là ? Peut-être. Cela, en tout cas, ne l’empêcha pas de dormir parfaitement. Bien reposé par sa nuit et désireux de se préparer, il constata simplement que Patte d’Ours ne répondait pas à son appel.

Nulours n’eût noté la moindre inquiétude chez celui qui rassembla lui-même son baluchon avant de mander qu’on réveille Sheb. Aourseda et qu’on fasse venir deux gars-ours porteurs et un diable.
Le soleil était levé depuis deux heures et il s’en fallait encore de presque autant avant la marée haute qui permettrait à L’Oursnatic de décoster.
Dès l’apparition des gars-ours porteurs, Myb. Lupp et Sheb. Aourseda, ayant confié leurs balluchons au diable, grimpèrent dans leur hotte.
En trois fois ourse minutes les pérégrins rejoignaient la rade.

Myb. Lupp, n’apercevant ni le hauturier ni son gars-ours domestique, ne se montra pas plus surpris qu’agacé. A Sheb. Aourseda épeurée, qui le reniflait nerveusement, il grommela, rassurant :

“ Une simple péripétie, monourse. ”
Fixidore Fixours les pistait depuis la caverne de repos. Il se montra alors, renifla très poliment et grognonna :
“ Nous étions ensemble sur le Rangours, il me semble ?

– En effet, grommela Myb. Lupp.

– J’espérais rejoindre votre gars-ours domestique sur ce quai.
– L’avez-vous vu récemment, monours ? ” guiora la jeune oursonne pleine d’espoir.
Fixidore Fixours joua les étonnés :
“ Nenni ! Je le croyais en votre compagnie.
– Hélas ! Il semble s’être volatilisé. Aurait-il pu prendre place sur L’Oursnatic ?
– Tout seul ? s’étonna le gars-ours pandore. Ne devait-il pas vous attendre ?
– Certes, monours, vous avez raison.
– Je devrais me trouver moi-même sur ce navire, monourse, et me voilà bigrement chagriné. L’Oursnatic, après un rafistolage tôtif, a filé comme un voleur à la dernière marée, et nous devrons patienter ourse et cinq marées avant de pouvoir repartir ! ”
Combien Fixidore Fixours savourait ce “ ourse et cinq marées ” ! Lupp bloqué à King-Kong-Bear ourse et cinq marées ! La fortune lui souriait enfin ! Le blanc-seing allait pouvoir les rejoindre.
Aussi, quel choc, quand Tiomiez Lupp grommela avec flegme :
“ L’Oursnatic serait-il le seul hauturier de King-Kong-Bear ? ”
Lui tournant alors le dos, Myb. Lupp entraîna Sheb. Aourseda en direction des autres embarcadères pour se renseigner sur les départs.

Anéanti et comme lié à eux, Fixours leur emboîta le pas.
Tiomiez Lupp fureta vainement partout, la matinée entière, interrogeant tous les gars-ours marins et dockers qu’il croisait, reniflant jusqu’aux plus petites barcasses, offrant de noliser à bon poids d’or toute embarcation capable de les conduire à Yokohol’Ourse. Et le guignon de l’un redorant l’étoile de l’autre, le gars-ours pandore s’en trouva tout ravigoté.
Myb. Lupp songeait déjà à se rendre à Nedeü pour y poursuivre sa quête lorsqu’un gars-ours marin l’aborda et, le reniflant :

“ Sa Grande-Ourse veut sortir en mer ?

– Pourriez-vous m’emmener immédiatement ?
– Certes, et sur le plus valeureux cabotier du port.
– Son allure ?
– Un Vit d’Ours Blanc, mille neuf cent treize Souffles et neuf Coulées, sans forcer. Cela vous agrée-t-il ?
– Parfaitement.
– Sa Grande-Ourse désire passer une oursée sur l’eau ?
– Nenni. C’est l’affaire de six ou sept ours.
– Une croisière ?
– Je me rends à Yokohol’Ourse.”
Gueule ouverte et babines retroussées, se dandinant gauchement, le gars-ours marin gronda du fond de la gorge :

“ Sa Grande-Ourse se moque ?
– Pas du tout ! L’Oursnatic a déguerpi sans moi. Or je dois attraper la correspondance de Safrasiz’Ours le 12, à Yokohol’Ourse.
– Il n’en est pas question, ronchonna le gars-ours marin.
– Même contre deux cent quatre-vingt-cinq Ours d’or, deux Pénis, quinze Canines et cinq cent quatre-vingt-deux Oursings l’oursée, et une gratification de cinq cents soixante-dix Ours d’or pour traverser dans les délais ?
– L’affaire est donc si grave ? s’enquit le gars-ours marin.
– Bigrement grave, oui ”.
Le gars-ours s’éloigna lentement, contemplant l’horizon. Que décider ? Pouvait-il refuser un tel pactole ? Mais risquer son embarcation et ses gars-ours dans un si périlleux parcours ! Dans son coin, Fixours trépignait.
Myb. Lupp lui, ne se préoccupait que de Sheb. Aourseda.
“ Cela sera peu confortable monourse et peut-être dangereux.
– Je vous suivrai en toute confiance, monours Lupp ”, lui assura-t-elle.
Le gars-ours marin revint.
“ Je vous écoute, grommela Myb. Lupp.
– Ma Tankadoursère ne jauge que dix-sept Ours-Cubiques et cinq cent trente-quatre oursièmes. La course est d’importance et les mers sont mauvaises en cette saison. Je me dois donc de refuser car c’est la vie de mes gars-ours et la vôtre que je mettrais en grand péril. De toute façon, il s’agit de parcourir deux cent quarante Nages d’Ours jusqu’à Yokohol’Ourse : nous n’y serions jamais le 12.
– Deux cent trente-trois Nages d’Ours, huit Coulées et cent soixante-six oursièmes, rectifia Myb. Lupp.
– Cela ne change rien, nous manquerons de temps. ”
Fixidore Fixours revivait.
“ Cependant votre offre est bien belle et je peux vous proposer une autre solution. ”
Fixours sentit son cœur cesser de battre.
“ J’écoute, grommela Tiomiez Lupp.
– En quatre ours je peux parcourir cent soixante nages d’Ours et vous conduire à Repézéqõ, au sud du Jap’Ourson. Ou mieux encore, ne vous mener qu’à Chand’Oursaille, à cent seize Nages d’Ours d’ici. Je caboterais alors le long des côtes panda’landaises, favorisé par les vents dominants.
– Ma correspondance, le coupa Tiomiez Lupp, est à Yokohol’Ourse, pas à Chand’Oursaille ou Repézéqõ.
– Peut-être, mais Yokohol’Ourse et Repézéqõ ne sont que des étapes vers Safrasiz’Ours. La tête de ligne est Chand’Oursaille.
– Réellement ?
– Mais oui, monours.
– Et à Chand’Oursaille, l’embarquement a lieu ?
– Le 9, à l’apparition de la lune. Il nous faudrait, je le répète, traverser en un peu moins de neuf oursaines d’heures. Je peux vous garantir une allure d’un Vit d’Ours blanc, dix-neuf Coulées et cinq cent soixante-sept oursièmes par bonnes conditions. Cent seize nages d’Ours et quelques Coulées jusqu’à Chand’Oursaille, cela reste à notre portée.

– Quel délai pour décoster ?

– Cinquante minutes pour marchander quelques provisions et vérifier l’équipement.
– Marché conclu ! Vous êtes le propriétaire ?
– Et le capitaine, Björn Cyrzca.
– Souhaitez-vous une avance ?
– Pour les provisions, oui.
– Prenez déjà ces cinq cent soixante-dix Ours d’or, cinq Pénis, huit Canines et cent soixante-quatre Oursings. Monours, grommela Tiomiez Lupp à Fixidore Fixours, puis-je vous proposer ...
– Volontiers Monours, vous m’obligez grandement. ”
Voilà que le guignon revenait dans son camp. Tout ébouriffé, Fixours grimpa aussitôt sur le pont, râlant et écumant in petto.
“ Nous ne pouvons abandonner ce malheureux gars-ours, guiora Sheb. Aourseda fort chagrinée à la pensée de Patte d’Ours.
– Je m’en occupe ”, la rassura Tiomiez Lupp.
Ils gagnèrent la caverne du capitoul de King-Kong-Bear et Tiomiez Lupp grava sur une tablette d’argile le grognottement de Patte d’Ours. Il déposa aussi assez de poudre d’or pour assurer son retour au pays.

En milieu d’après midi, toutes les provisions étaient en cale et ses gars-ours marins, rameutés, avaient rejoint la Tankadoursère.

Il s’agissait d’une belle embarcation à mâts obliques, de dix-sept Ours-Cubiques et cinq cent trente-quatre oursièmes de jauge, élancée et fine, racée comme un animal de compétition. L’amour de son propriétaire se lisait dans le clinquant de ses structures métalliques et le pimpant de la passerelle et des boiseries. Rien ne manquait à sa voilure, pas même génois, perroquet ou cacatois. Elle se comportait parfaitement par tous les temps et avait remporté maintes coupes lors des compétitions locales et régionales.

Trois gars-ours, sous les ordres de Björn Cyrzca, suffisaient à la manœuvrer. Ils étaient tous fort amarinés et endurcis, ne redoutant ni les récifs ni les écueils. Dans la force de l’âge, robuste et découplé, le poil d’ébène, l’œil sombre, le museau carré, la truffe large, les pattes trapues, résolu et courageux, Björn Cyrzca était ours à rassurer le plus effarouché des Koalas.
Tiomiez Lupp et Sheb. Aourseda rejoignirent sur le pont Fixidore Fixours. A la poupe, une échelle de teck conduisait à une tanière boisée : au centre se balançait un tronc coupé en deux, suspendu de façon à garder une assise stable même par gros temps. Des ouvertures ovales permettaient d’accéder à une litière commune. L’ensemble, bien que peu confortable, était coquet et soigné.
“ Pardonnez-moi, monours Fixours, ces conditions austères ”, grommela Myb. Lupp. L’autre, plutôt mortifié, branla du chef en silence.
“ Sachez, oursard Lupp, se grognonnait-il, qu’un gredin même bien élevé reste quand même un gredin ! ”
On envoya toute la voilure, aussitôt gonflée par une brise soutenue. Les pérégrins se tenaient au bastingage et Sheb. Aourseda scrutait le port, espérant encore la survenue de Patte d’Ours.
Fixidore Fixours, animé par la crainte, scrutait lui aussi. Que le gars-ours grugé apparaisse maintenant, et quel grabuge ! Il eût été grillé et risquait l’étripage.
On atteignit la haute mer et la Tankadoursère fila, cap au septentrion.
Notre gars-ours, hébété par la drogue, devait toujours ronfler dans son coin.