Au Zoo de Lausanne

éditions du Groupe de L'Ours
autour du lettrisme, des situationistes, de l'Oulipo et la pataphysique
Se dire lettriste toujours, parce que ça fait hurler les chiens.

Avertissements et commentaires…
par Antoine Grimaud

Les ours, en évidence, depuis toujours, car LoursétouÉtouTélours comme le gueulait Isours dans un poème.
Depuis longtemps il souhaitait traduire en français un ouvrage écrit dans cette langue, mais m’interrogeait – perplexe – sur ce que cela voulait dire. C’était le temps déraisonnable où il craignait de devenir fou, et je me demandais à qui il s’adressait et pour qui il traduirait.
C'est sur un plan incliné de la grotte de mon ami Gustave, en jetant un coup d'œil sur un livre négligemment jeté là – posé ouvert et à l'envers entre Tippsy, Baloo et ce truand de Doumé – que j'ai lu "Tour du Monde en 80 Ours". Je crus à un montage et cela me rappela l’histoire du parapluie et de la table de dissection: cette rencontre ne devait rien au hasard! Il restait à écrire l’ouvrage qui porterait ce joli titre.
Traduire les noms de lieux, patronymes et prénoms était simple, mais n’offrait que peu d’intérêt. Un homme, un ours. Un ours, un homme. Il fallait inventer une langue d’ours, pour un univers d’ours. L’ours gronde dit-on, et apparurent petit à petit des listes de mots contenant le vocable gr… de la zoogéographie (-être chère à Wolman? ) à l’accélérographe dont l’utilité est trop méconnue. Et des tableaux d’équivalences aussi, pour transcrire les monnaies, poids, distances, forces, énergies, puissances, vitesses, volumes et autres, tous si chargés de sens chez Jules Verne.
Que le roman ait été publié l’année de la naissance de Jarry m’imposait le calendrier. Isours demeurait perplexe. "veux-tu traduire le 5 de 5 heures dans la phrase: la marquise sortit à 5 heures?" ne cessait-il de demander. Et il n’avait pas tort. Quant au passage : "au-dessus desquelles le minaret de la pagode remplaçait le clocher de l'église européenne", il le laissait idiot, trémulant et pleurant d’angoisse.
Mais je savais maintenant que le franc germinal, en vigueur en 1870, contenait 0,2903225 grammes d’or cependant que le dollar en 1837 (et en 1900 également) était défini à 1504,656 milligrammes d'or fin! La solution poignait tout doucettement. Elle s’éloigna lorsque j’appris qu’un Londonien ne verrait rien de la lune dans la nuit du 2 au 3 octobre 1872, car elle était alors âgée de 0,18 jours: c'est la nouvelle Lune. Il verrait cependant Véga de la Lyre, Deneb du Cygne et Altaïr de l'Aigle. Tout était donc bien. Certes, P = m g, mais un ours qui tombe dans une crevasse au pôle tombe plus vite que son cousin équatorien, alors, comment fixer g? J’avoue que je me réjouis de constater que W=FL, ce bon Gustave me manquait dans mes recherches et le retrouver ainsi … Je cheminais maintenant d’un bon pas.
L’idée de traduction s’avérait de miel. Par analogie, par identité, par différence, en un travail enfantin, un décorticage parfois drolatique, – foin de l’induction et de la déduction – de chaque mot en surgit un autre, qui s’inventait tout seul, ou presque et Isours, plus délirant que jamais, gloussait parfois de mes trouvailles.
Petit à petit, dans une marqueterie patiente, un faux miroir se mit en place en face du texte de Jules Verne et, tout en racontant scrupuleusement – au mot près – la même histoire, le nouveau récit refléta aussi le portrait du traducteur: attachement au Lettrisme, à la Pataphysique, à l’Oulipo, convictions politiques et mauvaise foi joyeuse, humour et obsessions. Dès le travail commencé, nombreux furent les auteurs qui, de bonne grâce toujours, vinrent prêter la plume, offrant, toutes faites, des phrases entières pour remplacer celles de Jules.

 

 

lire la suite ...

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26
27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37