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Mercredi
25 mars 2009
Jacques Baratier présente la nouvelle
version du Désordre a 20 ans au Colombier de Ville dAvray.
par Antoine Grimaud
Nous
nous garons en même temps que Jacques Baratier
et sa femme Catherine, arrivés dans une
pimpante petite auto rouge vif et François nous présente, Florence et moi. Baratier est
inquiet de son film, doute de son montage, regrette davoir coupé telle séquence en
deux mais comment faire autrement ? doute de lintérêt de la
projection qui vient, pense que nous serons déçus, sinterroge sur la pertinence de
ses choix, la mauvaise qualité du son, de certaines séquences aux couleurs passées,
nous questionne sur le lieu où nous devons nous rendre.
Ce trac, émouvant chez un homme de 91 ans qui
représente tant de choses à nos yeux, le rend absolument touchant et désarmant
dinquiétude. Sa femme, dun grand calme apparent, semble en avoir lhabitude !
Nous le conduisons vers le Colombier où, lorganisateur de la soirée nétant
pas encore arrivé, le régisseur nous rejoint
et nous descendons vers la salle de projection pour « tester » le matériel.
Le centre est magnifique et je mémerveille encore une fois de tous ces espaces de
grande qualité que lon trouve ainsi partout. [ Dans les années 70,
cest à la MJC de Boulogne que nous trouvions toute laide nécessaire à la
fabrication de nos revues ou films, les lieux de nos répétitions, et toutes ces
commodités indispensables, très agréables, et gratuites ou presque, le plus souvent. ]
Baratier réexpose au régisseur toutes ses
craintes. Celui-ci lécoute avec beaucoup de gentillesse, le rassure par son calme
et, après que lon ait retrouvé le chapeau afghan que Baratier vient de perdre,
nous nous mettons en route vers une crêperie quon nous a indiquée.
Je suis resté en arrière avec Catherine Baratier,
qui traîne un peu la patte et, sachant par François quelle la connu,
travaillant dans linstitution où il résidait, je lui raconte brièvement comment
javais longtemps cherché Ivan Chtcheglov,
avant de retrouver la trace du fils de son ami Henry De
Béarn et donc la sienne, quelques mois après sa mort malheureusement.
Elle dit quil avait des moments de souffrance intense qui le ravageait entièrement.
Elle dit aussi que, dans dautres moments, jaurais pu le rencontrer. |

Florence Villers, (X ?) , Jacques Baratier, Catherine Baratier, Antoine Grimaud

pour en savoir un peu plus sur Ivan Chtcheglov, éditions Allia
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| Comme
la crêperie nest pas tout près, que
Jacques est fatigué, ils décident dy aller en voiture, font demi-tour, et nous
partons devant. Ayant trouvé pour eux une place juste devant la crêperie, François y
reste en sentinelle et je retourne à leur rencontre. Ils se sont déjà garés, mais un
peu loin et je leur propose de rapprocher leur voiture, pour le retour. [ La voiture en question proteste pendant tout le court trajet, bipant de
plus en plus fort jusquà ce que je coupe le contact. Je suis inquiet davoir
fait une sonnerie quelconque mais Catherine minforme, quand je lui rends les clefs,
que javais juste oublié de mettre ma ceinture ! ] |
 Pour tout savoir sur Gabriel Pomerand,
l'ouvrage de
François Letaillieur,
édité par la galerie 1900-2000

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Dans
la crêperie qui se remplit rapidement nous commandons et je demande à Baratier quand et
comment il a rencontré Pomerand, ce
quil explique plaisamment et dans une version légèrement différente, me dit
François, du souvenir quil en avait lui-même : en 1939, sortant dune
petite boite avant la fin du spectacle, il voit Gabriel attablé près de la porte devant
une bouteille et deux verres, et celui-ci linvite à boire en sa compagnie.
Arrive Maurice Lévy, lorganisateur de
la soirée, qui aimerait bien fixer le déroulement de la projection ce quil
va dire, ce que Baratier répondra mais ce dernier nen a cure, exprime une
fois de plus ses inquiétudes et sinterroge sur la nécessité de passer le 2ème
film prévu (qui dailleurs ne passera pas). Lévy bien quun peu inquiet se
fait une raison avec bonne humeur.
A un moment Baratier me demande pourquoi je suis là et François me présente aussitôt
comme un « poète lettriste » ce qui me fait plaisir et métonne en
même temps. Sans doute naurais-je pas dit ça, et jaurais eu tort.
Baratier, très intéressé, me demande aussitôt un poème. Plutôt réticent je crois
men tirer en prétextant la violence de mes textes et le fait que nous nous trouvons
dans un lieu public où les gens dînent tranquillement. Mais Baratier ne veut rien
entendre et balaye tout ça dun : « Quelle importance ? » Et
je me lance dans le long hurlement qui ouvre Yog Sotthoth, suivi de
quelques vers.
Toute la salle sest arrêtée et tournée vers nous et je dirais bien que les
cuisines aussi
Baratier est ravi. Il me dit quil me fera intervenir tout à
lheure. Inquiet à mon tour je propose de réciter plutôt dautres poèmes (La
ratepelision ?) Mais non ! cest gueuler quil veut
entendre ! |

Baratier a écrit la préface de ce précieux grimoire
[non reprise dans la médiocre réédition américaine]
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Jacques Baratier avec Maurice Lévy
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Il
est temps de rejoindre la salle de projection. Dans le hall il y a une très jolie vieille
dame assise dans un fauteuil, tout de blanc vêtue, lumineuse. Lévy mindique
quil sagit de Michelle Vian, la
première femme de Boris, et me pousse à aller la saluer, ce que je nose pas faire.
Quand elle rejoint sa place dans la salle, Baratier la présente à François,
« lettriste ». Elle le salue et lui demande " Lettriste ?
Isou ou Pomerand ? " Jaurais aimé avoir une caméra
pour saisir léclat instantané de son visage, la beauté et la tendresse de son
sourire radieux, quand François lui répond " Gabriel " ! Jen fus bouleversé.
La présentation commence, rigolote comme tout, avec un Lévy plutôt bonhomme, un peu
présentateur de crochet radiophonique, jovial
et sympathique.
Difficile de parler du film. Javais déjà vu une version, il y a des années. Je
gardais un souvenir plutôt confus du déroulement, de lenchaînement des
séquences, mais très précis quant au
plaisir éprouvé. Le plaisir revient aussitôt, dès les premières images, tous ces
personnages aimés ou inconnus de moi (Jacques Besse), les interventions de Jacques
Baratier lui-même, de sa fille, les textes de Gabriel dans la bouche de Ribbes, tout
passe trop vite. A ce plaisir se mêle lenvie de rire, souvent et, nétant que
sensation, je ne mémorise pas le détail. Je voudrais pouvoir retenir limage mais
je me laisse reprendre par le plaisir et emporter rapidement. Jaimerais vraiment
revoir ce film et jose, après la projection, le dire à Baratier en lui réclamant
une copie du DVD
Un jour peut-être ? |
Après
le film Jacques Baratier, beaucoup plus
détendu maintenant, remercie les divers amis présents dans la salle, la fille
dAudiberti, Michelle Vian, la femme de Pierre Schaeffer et dautres encore dont
jai oublié le nom , parle des absents aussi, de regrets, revient sur Pomerand
Pour chacun, il choisit ses mots avec attention, parle lentement, avec des longs
silences, et il passe à un autre, absent ou présent, et tout cela est très agréable.
Quand il remercie sa monteuse, une très jeune femme assise un peu derrière moi, tout en
déclarant que « maintenant » il sait ce quil faudrait faire pour son
film, je pense que les monteuses aussi seront canonisées un jour. A une question du
public qui concerne Ursula, la deuxième épouse de Boris, Michelle Vian répond très
élégamment : « Je ne sais pas, ce nétait pas mon époque. » Dans
le film on a vu une remarquable interview en anglais de Boris Vian par France Roche et
Baratier, assez ému, raconte comment cette
dernière, ayant voulu assister à une des projections, sest vue refoulée à
lentrée dune salle pleine par des ouvreurs qui ne la connaissaient pas, et
combien il regrette ce rendez-vous manqué, curieusement jamais réalisé depuis.
Aussitôt il lance un appel pour obtenir ladresse de France Roche.
Quand on croit quil a fini, il annonce quil a en face de lui un poète
lettriste et me demande de réciter quelque chose. Je me lève, un peu confus
dintervenir après Pomerand et Dufrêne, plutôt désireux que chacun garde dans
loreille la musique de ce que nous venons de voir. Mais je mexécute, pour
lui, craignant que nul autre ny trouve beaucoup dintérêt. Je ne me souviens pas bien des quelques mots que je
bafouille en introduction et je me lance,
tachant de donner le maximum de force à mon hurlement. Baratier tente de
minterrompre et me tend un micro dont je pense ne pas avoir besoin. Il veut à
lévidence une intervention « coup de poing » et craint que dans cette
grande salle ma voix ne fasse pas leffet de surprise de la crêperie. Je
mexécute donc et finis mes hurlements dans son micro. Lui a lair ravi et je
ferme les yeux pour pouvoir continuer avec quelques
vers de Yog Sottoth puis
le début des 400 Kuls
et je marrête, gentiment applaudi. |
Michelle Vian, assise au rang devant moi me fait
un petit signe et je vais la voir pendant que la salle se vide. En me récitant quelques
vers lettristes ( Lances rompues
quelle attribue à Pomerand ) elle me
prend la main dans les siennes et me félicite. Elle me trouve même un air de
ressemblance avec Gabriel les boucles peut-être ? et me dit combien il
était gentil : « Les gens le croyaient méchant parce
quil était violent, mais il était dune incroyable gentillesse, et sa femme
aussi, tellement attentif aux autres, et inquiet
».
Jaimerais la serrer contre moi mais me contente de lui embrasser la main. Elle
évoque rapidement le fait quelle a été très malade récemment et, avant de se mettre en route, elle ajoute avec un
amusant sourire: « Il y
plein derreurs dans le film, la plupart dites par Alain [Alain Vian, frère de Boris]. Ce nest pas bien grave, ça reste en famille. »Dans
le hall un jeune couple maborde et me félicite de mon intervention. Une seconde
jai limpression quils se fichent gentiment de moi mais non, ils ont
lair sincère. Elle aimerait pouvoir venir mécouter en spectacle et je lui
dis, amusé, que je ne savais pas que jinterviendrais ce soir et que mon dernier
spectacle a dû avoir lieu au début des années 80 ! Elle est prof, comme moi, et
lui, comédien, participe actuellement à un spectacle sur Bobby
Lapointe et on rit en évoquant la petite
écuyère qui ne trouvait pas sa louche et autres làpeuprès.
Je nai évidemment pas osé leur demander leurs coordonnées, leur indiquant juste
quils pouvaient me joindre à travers le site. |

Michelle Vian parlant de Gabriel Pomerand à Antoine Grimaud
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Antoine Grimaud, Jacques Baratier et Michelle Vian
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Baratier nous rejoint et me félicite
chaleureusement. Il ajoute quil veut me filmer. « Je ne peux vous mettre dans
celui-là, évidemment » me dit-il et quand je ris en lui indiquant que cela ferait
effectivement un bel anachronisme il répond aussitôt : « Quelle
importance ? et puis je ne suis pas obligé de mettre la date. Non je veux vous
filmer et je trouverai bien un endroit où vous mettre ».
Pour moi bien sûr, cest où il veut et quand il veut, et je le lui dis.  |
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