Au Zoo de Lausanne

éditions du Groupe de L'Ours
autour du lettrisme, des situationistes, de l'Oulipo et la pataphysique
Se dire lettriste toujours, parce que ça fait hurler les chiens.

Antoine Grimaud

Chapitre VII

QUI MONTRE QUE
LES SAUF-CONDUITS
NE SONT QUE BALIVERNES
ET BILLEVESÉES

Quittant l’embarcadère, le gars-ours pandore galopa jusques aux tanières officielles du capitoul. Négligeant même le reniflement de bienséance, il glapit :
“ Monours capitoul, mon gredin se trouve sur le Mongourslia. ”
Puis il détailla tout de l’entretien avec le gars-ours domestique, autour du sauf-conduit.

“ Assurément monours, grogna le capitoul, je lape mon petit lait à la perspective de renifler une telle fripouille. Cependant, pointera-t-il le bout de sa truffe ici ? Un fuyard chercherait plutôt à brouiller ses empreintes et à effacer jusqu’aux vestiges de ses foulées. D’autant que la tracasserie des sauf-conduits est maintenant obsolète.

– Monours capitoul, c’est précisément parce qu’il est rusé qu’il se pointera. J’y engage mon miel !
– Pour que je griffe son sauf-conduit ?
– Exactement. Les sauf-conduits ne sont que calembredaines ! Ils importunent les braves gars-ours et prêtent la poudre à l’escampette des gredins. Le sien est inattaquable, j’en suis certain. Heureusement vous n’y imprimerez pas votre griffe ...
– Ah que si ! Service, service ! Jugulaire, jugulaire ! Il m’est interdit de réserver ma griffe sur un document en règle.
– Enfin, monours ! Mon devoir à moi m’ordonne de le retarder et je n’ai d’autre choix que de croquer le marmot, gober les mouches et faire le pied de grue, dans l’attente du blanc-seing de mise en cage grossoyé à Long’Ours !
– Suffit ! Chacun ses champignons, monours. Ne comptez pas ... ”
Soudain, comme muselé, le capitoul ne pipa plus : après un grattouillis discret à l’arbre couché devant l’entrée, le gars-ours grouillot saute-ruisseau introduisait l’ours-maître et son gars-ours domestique. Le premier tendit son sauf-conduit, réclamant, lapidaire mais poli, qu’on y plante la griffe.

Le capitoul grippa le sauf-conduit, le retourna et le huma soigneusement. Fixidore Fixours, tapi à l’écart, paupières mi-closes sur ses prunelles coruscantes, reniflait à petits traits les pérégrins.
“ Tiomiez Lupp je suppose ? s’assura le capitoul.
– Lui-même.
– Avec votre gars-ours domestique ?
– C’est cela.
– En provenance de Long’Ours ?
– Exactement.
– Votre prochaine escale ?
– Cuncéã.
– Excellent. Vous n’ignorez pas que vous avez le droit de circuler sans sauf-conduit ?
– Il m’importe simplement que vous authentifiiez mon escale à Ours’Ez.
– A votre guise, monours. ”

Energiquement mais non sans élégance le capitoul griffa le sauf-conduit. Myb. Lupp régla tributs et débours puis, ayant rapidement reniflé chacun, il se retira, son gars-ours domestique trottant sur ses traces.
“ Qu’en pensez-vous ? grogna le gars-ours pandore.
– On jurerait un ours irréprochable et intègre !
– Bien évidemment ! Ne l’avais-je pas prévu ? Laissons cela et agréez plutôt, monours capitoul, que vous venez de voir, poil à poil et griffe à griffe, le portrait craché de l’aigrefin annoncé par Long’Ours !
– Peut-être ! Voyez-vous, tous ces grognottements ...
– Je saurai la vérité, le coupa Fixours. Contrairement à l’autre, le gars-ours domestique semble plutôt avenant et c’est un étranger, certainement babillard, causeur et jacasseur comme une pie. A vous revoir, Monours capitoul. ”

 

Ayant respectueusement reniflé la patte du capitoul, le gars-ours pandore remonta rapidement la piste de Patte d’Ours.
Sorti de la caverne officielle, Myb. Lupp était aussitôt revenu à l’embarcadère. Il grommela ses instructions à son gars-ours domestique, sauta sur un petit tronc à balancier, grimpa sur le pont du Mongourslia et regagna sa tanière par le passavant. Enfin au calme, il sortit de sa ceinture un planigramme repliable en triptyque et lut :
“ Parti de Long’Ours, mercredi 25 Absolu, 20 heures 45.
“ Gagné Par’Isours, jeudi 26 Absolu, 7 heures 20.
“ Parti de Par’Isours, jeudi, 8 heures 40.
“ Gagné Tural’Ours, vendredi 27 Absolu, 6 heures 35.
“ Parti de Tural’Ours, vendredi, 7 heures 20.
“ Gagné Xorgozo, samedi 28 Absolu, 16 heures et grimpé sur le Mongourslia, 17 heures.
Il grava à la suite en trois coups de sa gradine dentelée :
“ Gagné Ours’Ez, mercredi 4 Haha, 11 heures.
“ Ours consommés : 6 ½ ”
Le volet senestre du triptyque portait, du 25 du mois d’Absolu au 21 Sable, le calendrier prévu pour chacune des escales essentielles : Par’Isours, Xorgozo, Ours’Ez, Cuncéã, Kelkud’Ourse, Singe-à-Poux, King-Kong-Bear, Yokohol’Ourse, Safrasiz’Ours, NéoBear, Beatl’Ours, Long’Ours. Myb. Lupp gravait sur la partie centrale les dates réelles. Il possédait ainsi à tout moment, sur le volet dextre, une vue immédiate des boni mali de sa pérégrination.
Il n’avait jusque-là ni gaspillé ni grappillé de temps.
Il manda alors son repas dans sa tanière où il demeura. Contrairement aux autres pérégrins, aucune curiosité ne l’assujettissait et il avait une fois pour toutes chargé son gars-ours domestique de contempler pour eux deux les territoires parcourus.