Au Zoo de Lausanne

éditions du Groupe de L'Ours
autour du lettrisme, des situationistes, de l'Oulipo et la pataphysique
Se dire lettriste toujours, parce que ça fait hurler les chiens.

Antoine Grimaud

Chapitre XXXVII

ET Á QUOI BON TOUT ÇA,
PUISQU’IL N’EST PAS PLUS GRAS ?

 

Tiomiez Lupp vainqueur ! Sacré coup de théâtre, non ?
Que s’était-il passé ?
Souvenons-nous.
Une oursée s’était écoulée depuis le débarquement des pérégrins à Long’Ours quand, vers vingt heures, son ours-maître avait envoyé Patte d’Ours demander au mystagogue Zenyïm Winnilourson de célébrer son union avec Sheb. Aourseda, dès le lundi.
Patte d’Ours, tout réjoui, galopa jusqu’à la caverne taboue mais ne trouva personne au gîte. Tranquille, il patienta dans l’entrée, patienta encore, près de deux fois ourse minutes.
A vingt heures trente, c’est une Ourse-Noire en furie qui jaillit de la caverne du mystagogue ! Ebouriffé, pantelant, les protège-coussinets dans la gueule pour galoper plus vite, il tricotait des pattes, plus véloce qu’oncques ours ne le fut, même aux Temps des Ours Anciens, culbutant sur son passage trois oursons et deux grosses oursonnes qui grognonnaient en voisines !
Il ne mit que quelques instants pour rejoindre la caverne de Baskerville road et se rua, hors d’haleine, dans la tanière de Myb. Lupp, bavant et trémulant fébrilement.
“ Et alors ? s’enquit Myb. Lupp.
– Mon aîrs-moutre ... cafouilla Patte d’Ours ... noce ... pas lieu ...
– Que grognez-vous là ?
– Dariage ... pas lieu ... medain ...
– Mais enfin, pourquoi ?
– Ah ! Que ... medain ... midanche !
– Mais non, grommela Myb. Lupp, nous sommes dimanche.
– Nenni ... hier ... vendredi ...
– Nous ne serions que samedi ? intervint Sheb Aourseda, mais vous m’affolissez !
– Ouiiiiiiiii ! glapit Patte d’Ours. Samedi ! Il s’est entortillé dans son compte ! On a toute une oursée de bonus ! ... Enfin ... en fait on n’a plus qu’ourse minutes ! ... Grouillez-vous donc mon ours-maître ! ”
Patte d’Ours ayant grippé Myb. Lupp à deux pattes le tirait fermement, aidé de Sheb. Aourseda qui le poussait sans ménagement !
Tiomiez Lupp, lui, n’avait rien compris. Il fut littéralement porté hors de sa tanière, extrait de sa caverne et jeté sur un tronc à roues. Sheb. Aourseda garantit au gars-ours postillon une gratification de deux cent quatre-vingt-six Ours d’or s’ils atteignaient à temps le Cercle. Ils aplatirent moult poules, trois canards et deux moutons mais l’horloge glougloutait vingt heures quarante-cinq précises comme ils pénétraient dans la grande tanière d’apparat, ce que nous savons déjà.
Tiomiez Lupp avait donc galopé autour du globe pendant quatre-vingts ours exactement et emporté cette incroyable gageure !
Il m’incombe à présent d’expliquer qu’un ours à ce point précis – tatillon et maniaque grognonneraient certains – se soit trompé d’une oursée ! Pourquoi pensa-t-il planter griffe à Long’Ours le samedi 21 du mois de Sable, alors qu’on n’était encore que le vendredi 20 ?
Ce n’est pas compliqué.
Tiomiez Lupp, filant toujours vers le levant, avait engrangé – et il ne s’en était même pas aperçu – tout un ours dans sa pérégrination. Eût-il choisi – question de hasard – de partir face au ponant, c’est à l’inverse un ours qui serait tombé de sa besace.
Développons. Galopant vers l’astre solaire, Tiomiez Lupp en accélérait la vitesse relative et, très logiquement, chaque fois qu’il avançait d’un cent vingt et unième de la circonférence du globe, l’oursée rapetissait d’ourse grosses minutes ! Alors que dans sa course au levant il saluait quatre-vingts fois le soleil au zénith, tout ours resté immobile à Long’Ours ne l’avait salué, lui, que soixante-dix-neuf fois. Et donc les membres du Cercle-Bel-Ursidé redoutaient ce samedi soir son apparition dans la grande tanière d’apparat, quand lui s’imaginait déjà rendu au dimanche. Et si Patte d’Ours avait disposé d’un chronographe plus évolué glougloutant les ours, les quantièmes et l’année, en plus des heures, des minutes et des secondes1, il aurait pu s’en apercevoir lui-même ! [Note 1 : Comme celui que nous décrivions au premier chapitre de notre histoire, mais qui s’était malencontreusement arrêté, n’ayant pas été régulièrement remonté chaque semaine.]
Les cinquante-sept mille trente et un Ours d’or, huit Pénis, ourse Canines et quatre cent quarante et un Oursings de la gageure revenaient à Tiomiez Lupp ! Cependant, il avait semé en chemin cinquante-quatre mille cent soixante-dix-neuf Ours d’or, quinze Pénis, seize Canines et six cent dix-neuf Oursings et d’avoir raflé la mise ne le rendait pas plus gras pour autant. On sait que notre original ne gageait pas pour engranger du grain, mais pour jouer, uniquement. Il fit donc cadeau à son brave Patte d’Ours et à cet imbécile de Fixours – allez savoir pourquoi – des deux mille huit cent cinquante et un Ours d’or, neuf Pénis, dix-sept Canines et huit cent vingt-deux Oursings de différence, et sans décompter au gars-ours domestique le grisou brûlé par son étourderie.
Rentré dans sa caverne Myb. Lupp, bien moins serein qu’à l’ordinaire, s’inquiéta :
“ Cette union vous agrée-t-elle encore, monourse ?
– Monours Lupp, grogna Sheb. Aourseda, vous êtes gras à cette heure et moi je n’ai rien ...
– Baste, monourse. Notre or est à vous. Sans votre offre généreuse de devenir mon oursonne, Patte d’Ours n’aurait pas galopé chez le mystagogue Zenyïm Winnilourson, je me croirai encore dimanche, et ...
– Ah ! Myb. Lupp ! grognonna la jeune oursonne.
– Oh ! Aourseda ! ” grommela Tiomiez Lupp.
Une fort joyeuse cérémonie se déroula le lundi matin et Patte d’Ours, tout ému, fier comme un pou et légèrement ébouriffé, y tint le rôle du père de la mariée. Il l’avait arrachée au bûcher et c’était bien le moins qu’il la conduisit à l’autel !
Le mardi, avant même le lever du soleil, Patte d’Ours grattait doucement au seuil de son ours-maître.
Le tronc bascula et, encore endormi, le gentillours s’avança.
“ Que voulez-vous donc, Patte d’Ours ?
– Monours ! En étudiant le Bearshaw’s Pilgrim ...
– Oui ?
– Soixante-dix-huit ours auraient suffi pour ...
– Evidemment. On aurait pu éviter le trigone rousse’terrien, ignorer le roustillage de Sheb. Aourseda ... et à cette heure je me retrouverai tout seul. ”, grommela Myb. Lupp en remettant posément le tronc en place.

Cette histoire est finie.
Tiomiez Lupp venait de parcourir, en quatre-vingts ours exactement, le tour du globe. Mais, uniquement préoccupé de faire concorder cabotiers, hauturiers, wheels-trunks, troncs à roues, bâtiments de négourse ou autres oliphants et troncs à glisse sur glace, il n’avait jamais accordé le moindre intérêt aux contrées traversées.
Certes, au cours de l’aventure, de nombreuses occasions s’étaient présentées à lui de prouver son sang-froid et son esprit méthodique. Mais on lui connaissait déjà ces qualités.
Et on l’a vu, en dépit de son succès, il ne se retrouvait pas plus gras qu’au départ.
Alors ? Tel il nous apparaissait à la première page de ce récit, tel nous le retrouverions à la dernière ?
Ce gentillours peu banal n’aurait-il pas eu intérêt à rester pantoufler chez lui ?
Mais était-ce une vétille qu’une adorable oursonne prête à faire son bonheur et, certains ours l’auguraient déjà, à lui donner beaucoup d’oursons ?

 

FIN