Au Zoo de Lausanne

éditions du Groupe de L'Ours
autour du lettrisme, des situationistes, de l'Oulipo et la pataphysique
Se dire lettriste toujours, parce que ça fait hurler les chiens.

Antoine Grimaud

Chapitre XI

OÙ L’OLIPHANT FAIT FLORÈS
SUR LE MARCHÉ

Le grand-tronc s’était ébranlé sans retard. Divers pérégrins avaient pris place dans les refuges : manitous, gars-ours bureaucrates et gratte-papier, margoulins droguistes, tripoteurs d’œillettes et indigoteurs, tous conduits par leurs affaires à l’est du trigone.
Patte d’Ours ronflait, lové aux pieds de son ours-maître, et un autre pérégrin se tenait dans une encoignure de leur refuge.
Myb. Lupp reconnut le cinquantenier Ours Kaassis GrosGrizzly, bridgeur acharné du Mongourslia. Il galopait derrière son escadron bivouaqué à Ciresiz.

Trapu, le poil doré, dans la force de son âge, maintes fois décoré pour bravoure lors des massacres de l’année moins 7, Ours Kaassis GrosGrizzly aurait pu passer pour un authentique Rousse’Terrien. Ourson déjà, il vivait sur ce territoire et ne connaissait pas celui de ses ancêtres. Imbattable sur les mythes et légendes, les superstitions, les traditions, les anecdotes, la chronologie des intrigues et la comédie du pouvoir de la Rousse’Terre, il eût été fort désireux d’en discourir longuement devant Tiomiez Lupp à la moindre question de ce dernier. Hélas pour lui, ce gentillours n’était point grommeleur. Pour l’heure, regardant distraitement la lune qui se levait – elle décroissait depuis quatre nuits et un cinquième de sa surface avait déjà été mangé–, il additionnait mentalement la durée de ses étapes, et tout autre que lui eût sans doute poussé un soupir de satisfaction.
Ours Kaassis GrosGrizzly, durant les heures passées sur le Mongourslia à claquer les brèmes sur la roche, avait remarqué la bizarrerie baroque de son partenaire de bridge. Il ignorait cependant si, derrière sa cuirasse, Lupp éprouvait intérêt ou empathie pour ses semblables ou même simplement s’il appréciait les merveilles paléobotaniques et phytobiologiques de la nature. Il en doutait plutôt : ce n’était pas un ours que cet ours-là !

Tiomiez Lupp ayant évoqué un soir sa gageure des quatre-vingts ours, le cinquantenier avait instinctivement détesté cette contrainte vaine qui n’apporterait de bénéfice à nulours, même pas à son auteur : traversant le monde au triple galop, sans pause ni répit, l’original n’y laisserait pas la moindre trace et n’en apprendrait rien non plus.


La lune était levée quand les troncs inclinés, filant sur les ouvrages d’art en bambou typiques de cette région, enjambaient le bras de mer qui sépare Zemdivvi du trigone rousse’terrien. Après la caverne étape de Démmær, une partie du convoi plongea vers Qèrgémmèj, Tuyrèj et l’orient méridional. Nos pérégrins, eux, rejoignirent directement la caverne étape de Teÿbimm, pénétrant là dans d’épaisses et lugubres forêts de gravelins pédonculés encroûtés de graphides, sur le territoire montagneux des très sombres Pjêviz, basses de basalte et de lave.
Il arrivait quand même qu’Ours Kaassis GrosGrizzly et Tiomiez Lupp grommelassent de concert et le cinquantenier, désireux de ranimer un grésillement défaillant, grognonna soudain :
“ Antan, ce même convoi qui nous porte aurait occasionné un fort préjudice à votre quête, monours Lupp.
– Ah ?
– C’est qu’il calait devant les Pjêviz alors, et les pérégrins devaient louer les services de gars-ours porteurs ou même trottiner longtemps avant d’atteindre la caverne étape de Qèrgémmèj, sur la raillère de l’ubac.
– Un contretemps, certes, grommela Myb. Lupp, mais le temps, ça se calcule.
– Admettez monours Lupp, grogna le cinquantenier – les dents un peu agacées de l’humeur toujours égale de son vis-à-vis –, que vous auriez pu avoir bien du tintouin après la malencontre de votre gars-ours ! ”

Patte d’Ours, les griffes et la truffe sous son réchauffe-fourrure, ronflait béatement.

“ La bureaucratie centrale ne plaisante pas avec ces sortes d’exploits, et c’est bien le moins, précisa Ours Kaassis. Votre gars-ours domestique se serait-il fait agriffer dans la caverne sacrée pour s’être moqué des crédulités et superstitions officielles que ...
– Que m’importe, Ours Kaassis, grommela Myb. Lupp. Agriffé, on l’aurait jeté dans un cul de basse-fosse, puis banni et renvoyé en Oursope. Rien là-dedans qui pût ralentir ma progression ! ”
Et le grésillement cessa. La lune atteignait son zénith. Le convoi des troncs inclinés sortit des Pjêviz, fit étape à Rézzoq et, avant l’aube du 16 Haha, il entrait dans la province du Qiergozi. Cette région agricole, riche de bugranes et d’agrumes, de grenadelles sucrées et de grewias duveteux aux petits fruits onctueux, offrait à la vue des pérégrins de belles agglomérations de refuges troglodytes. Partout des chenaux paisibles, des ruisseaux murmurants, des rivières tranquilles, allant tous grossir le Pugéwisa, baignaient ces terres généreuses.
Patte d’Ours, alerte et excité, humait l’air au travers des cannisses des parois et du toit, tout ébouriffé de parcourir la Rousse’Terre sur un tronc incliné du “ Great peninsular wheels-trunk ”. C’était extravagant, stupéfiant, sidérant, mais pourtant il ne rêvait pas ! La machine, gorgée d’anthracite, semblait fouaillée par son conducteur. Il s’en échappait des volutes bouillonnantes qui cachaient en partie les cultures de combavas aux feuilles ailées, de tamarins, de crotons et de caramboles, et s’enroulaient dans les cocoteraies et bambouseraies. On apercevait fugitivement de curieuses grottes – peut-être toujours occupées –, des vestiges d’anciens moustiers où priaient encore de vénérables ours dévots, et d’extraordinaires cavernes taboues, gravées des cryptogrammes les plus sacrés de l’art des Temps des Ours Anciens, et de quelques épigrammes aussi, dont le sens s’est perdu maintenant. La plaine toujours, infinie, semblait fuir devant les pérégrins. C’était devenu un interminable marécage couvert d’une végétation épaisse et exubérante où grouillaient vipères portant la marque d’un fer de lance sur leur front écrasé, cérastes aux protubérances menaçantes, hydres verdâtres et visqueuses, aspics aux crochets mobiles, trigonocéphales jaunes, crotales au museau court et à la robe noirâtre, faisant sonner les osselets de leur queue et amphisbènes aux yeux cerclés d’un disque clair comme ceux des hiboux. A l’horizon, des forêts de greenhearts1 comme scarifiées par les rails des troncs inclinés. Là rêvaient des oliphants méditatifs et indifférents au vacarme du monde. [Note 1 : Ces forêts abritent aigrettes, grands-gosiers, gravissets et grimpereaux. Depuis le Temps des Ours Anciens, leurs magnifiques arbres penchés fournissent les mâts des navires . ]
Longtemps, les pérégrins parcoururent ces régions malsaines où sévissent encore des égorgeurs fanatiques. Ils entrevirent ensuite la grandiose Immusé, ses cavernes taboues, et reniflèrent la légendaire Eysyr’Pécèg – berceau d’Eysir-Zob l’iconoclaste – dont la splendeur a terni au fil du temps. Sur ces terres, Hérringannã, seigneur maléfique, gouvernait encore sans partage. Ses éventreurs, dont aucun jamais n’avait été capturé, écorchaient et étripaient aveuglément oursons à la mamelle, oursonnes et vieux ours édentés, et nulours ne fougeait le sol sans déranger une charogne d’où sortaient de noirs bataillons de larves qui coulaient comme un épais liquide. La bureaucratie centrale a vainement tenté d’anéantir ces sectateurs de Qêmo, Grande-Ourse de la mort : l’effroyable oursiété continue de faire régner la terreur.
Alors que le soleil commençait sa course au ponant, le convoi des troncs inclinés fit halte à la caverne étape de Cysjentuÿs et Patte d’Ours marchanda des protège-coussinets d’intérieur joliment ornés d’une escarboucle grenat. Il les fixa aussitôt à ses pattes avec un plaisir d’ourson.
Les pérégrins grignotèrent quelques graminées grillées et de succulents œillets grenadins, odorants et bien sucrés, puis se remirent en route vers la caverne étape d’Ezzyspys sur la Vétvä, cours d’eau rejoignant la baie de Denceai à Jyvésy.
Mais à quoi donc songeait Patte d’Ours ? La veille encore il s’imaginait creuser leur tanière à Cuncéã. Lancé ce matin à travers la Rousse’Terre, il avait cette fois changé son balluchon d’épaule. Le goût de l’aventure le titillait de nouveau. Très excité, il épousait à présent les desseins de son ours-maître, embrassait sa gageure, faisait siennes cette course autour du globe et la terrible contrainte des quatre-vingts ours. Voilà qu’il s’épouvantait quand les troncs inclinés ralentissaient, qu’il frémissait à l’idée d’une panne, qu’il s’ébouriffait de crainte en évoquant les innombrables tribulations qui guettent tout pérégrin. Il n’aurait pas été plus anxieux s’il avait engagé son propre pécule, et trémulait de rage d’avoir mis en péril leur réussite à Cuncéã. Loin de la sérénité de Myb. Lupp, il devint bigrement fiévreux. Il additionnait et soustrayait les secondes, vouait aux gémonies le convoi avec son allure cagouillarde et faillit même dauber son ours-maître, qui avait négligé de graisser la patte aux chauffeurs. L’honnête gars-ours ignorait que le chauffeur d’une motrice, placé sous le contrôle arbitraire mais sévère de la bureaucratie centrale, n’avait pas la liberté de celui d’un cabotier.
Au crépuscule, ils empruntèrent les canyons des Zyvtuÿs unissant le Qiergozi au Cyrkyrg, et y sinuèrent toute la nuit.
Le soleil était déjà levé quand, à la demande d’Ours Kaassis, Patte d’Ours observa son chronographe et annonça trois heures après minuit. N’oublions pas que le fameux chronographe grenait imperturbablement l’heure de Long’Ours, qu’il s’était déplacé de soixante-dix-sept degrés vers l’est, et qu’il glougloutait donc quatre heures et huit minutes de moins que le soleil.
Ours Kaassis calcula l’heure exacte et suggéra à Patte d’Ours ce qu’avait déjà suggéré le gars-ours pandore, s’attirant les mêmes réponses. Il expliqua patiemment que seul le soleil donnait l’heure de l’ours et que, si on galopait sans cesse au-devant de cet astre, une minute se perdait chaque fois qu’on grignotait un quart de degré. Rien n’y fit. Patte d’Ours écouta-t-il ? Il se goba en tous cas de ne jamais traficoter son chronographe, aimant mieux, grognait-il, vivre au rythme de ses pères. Myb. Lupp, lui, n’entendit rien : il dormait ! Occupation sans conséquence ... apparemment.
Cinquante minutes plus tard et quarante-sept mille sept cent Pieds d’ours après la caverne étape de Suvjèm, le grand-tronc s’immobilisa dans une large sommière, trou de verdure abritant une oursaine de tanières. Le mécanicien courut le long des troncs inclinés, glapissant avec autorité :
“ Tous les pérégrins, griffe à terre ! ”
Tiomiez Lupp se tourna vers Ours Kaassis GrosGrizzly mais celui-ci, pour une fois, restait à court d’explications. Ils étaient entourés de khajours et de papilionacées s’élevant à plus de quatorze Pieds d’Ours, aux feuilles stipulées, couverts de fleurs jaunes et rouges et de fruits en forme de gousse.
Patte d’Ours, parti au nouvelles, réapparut consterné, s’étranglant de rage :
“ Par l’Ourse-Noire, ils ont volé les rails !
– Mais que grognez-vous là ? s’étonna Ours Kaassis.
– Plus de rails, notre pérégrination est à l’eau ! ” glapit Patte d’Ours désespéré.
Le cinquantenier sauta vivement du tronc, laissant l’imperturbable Tiomiez Lupp derrière lui, et il interpella le gars-ours chauffeur :
“ Quel est ce lieu ?
– Qjumcã, monours.
– Pourquoi y faites-vous halte ?
– Les traverses ne sont pas posées ...
– Pas posées ! Mais c’est tout à fait impossible !
– Voyez vous-même ! Il s’en faut de huit Courses d’Ours, neuf mille cent cinquante-deux Pieds d’Ours, deux Griffes, un Poil et deux cent soixante-quatre oursièmes pour gagner Emméjecêg et retrouver les rails.
– Mais tous les oursaux grognottaient l’inauguration du wheels-trunk !
– Ils ont anticipé, monours, comme toujours.
– Vous marchandez cependant des jetons de Cuncéã à Kelkud’Ourse ! s’énerva Ours Kaassis GrosGrizzly dont la truffe se hérissonnait dangereusement.
– Evidemment ! grogna le gars-ours chauffeur. Aucun pérégrin n’ignore qu’il aura à se débrouiller entre Qjumcã et Emméjecêg ! ”
Patte d’Ours envisageait de démancher le malheureux gars-ours chauffeur, bien innocent pourtant. Il imaginait que son ours-maître venait de recevoir un coup fatal.
“ Ours Kaassis, grommela Myb. Lupp qui les avait rejoints, pensons plutôt à nous rendre à Emméjecêg sans tarder.
– Sans tarder ! Quand tout est perdu !
– Certes pas, Ours Kaassis, je m’y attendais.
– Comment donc ? On vous avait informé du chantier ...
– Bien sûr que non ! Cependant nous devions forcément finir par achopper sur quelque pierre. Tout va bien, rassurez-vous. J’ai pour l’instant gagné deux ours sur mon planigramme. Le prochain navire vers King-Kong-Bear quitte Kelkud’Ourse le 20 au zénith, dans trois ours : nous grimperons donc sur ce bateau ! ”
Que contregrognonner devant une affirmation si tranquille.
Les autres pérégrins, mieux informés, s’étaient déjà précipités sur tous les équipages disponibles : guimbardes attelées à de grands bovidés faméliques malgré leur gibbosité graisseuse, pousse-pousse brinquebalants, fardiers à deux roues, jardinières légères, pataches mal suspendues, poussettes et litières à gars-ours porteurs. Myb. Lupp et Ours Kaassis GrosGrizzly, moins rapides, restèrent donc le bec dans l’eau.

“ Qu’importe, nous trotterons ”, décida Tiomiez Lupp.

Patte d’Ours, de retour à cet instant, grigna comiquement : il songeait à ses splendides mais bien peu pratiques protège-coussinets d’intérieur. Par bonheur, il avait relevé une piste intéressante.


“ Je nous ai peut-être déniché un véhicule, monours.
– Comment cela ?
– Il s’agit d’un oliphant ! Un oliphant hébergé par un Rousse’Terrien.

– Examinons cet oliphant ”, grommela Myb. Lupp.
En quelques foulées rapides, Tiomiez Lupp, Ours Kaassis GrosGrizzly et Patte d’Ours atteignirent un ajoupa rustique, adossé à une lice ceinte d’un pourpris d’acacias tressés. A l’intérieur de l’ajoupa se tenait un Rousse’Terrien et derrière le pourpris, un oliphant gris comme une souris, grand comme une tanière, le nez comme un serpent. Le propriétaire fit entrer nos trois ours dans la lice pour qu’ils contemplent la très grosse bête partiellement apprivoisée, promise à la lutte et aux jeux du cirque. Encore fallait-il que l’animal – tendre et câlin de nature – soit gagné d’une frénésie meurtrière et, à cette fin, on l’abecquerait uniquement de gras greubons grillés, d’hygrophores écarlates et de tigridias mouchetés. Un pareil régime, aussi surprenant soit-il, a depuis des siècles fait ses preuves chez les meilleurs entraîneurs. Par bonheur, l’oliphant ne l’avait pas commencé et possédait donc encore tout son bon sens.

Kioursni – ainsi le surnommait-on – partageait avec ceux de son espèce la faculté de galoper sans souffler de nombreuses Courses d’Ours et, faute d’un véhicule plus commun, Tiomiez Lupp décida de le louer.

Les oliphants, en voie d’extinction, sont devenus très précieux en Rousse’Terre. Les étalons surtout – c’est la testostérone en fait qui, excitée par ce régime étrange, leur monte au cerveau et les rend agressifs et méchants – sont particulièrement prisés. Mais ces grosses bêtes ne s’accouplant jamais en captivité, seule la tenderie avec rets et leurres permet de renouveler le cheptel. On vénère donc au plus haut point ceux que l’on possède, et le Rousse’Terrien n’accepta pas d’affermer son protégé.
Myb. Lupp, très calme, proposa de payer vingt-huit Ours d’or, huit Pénis, dix-sept Canines et six cent cinquante-huit Oursings tous les ourse mille Pieds d’Ours parcourus, tarif déjà exorbitant. L’autre n’agréa pas. Cinquante-sept Ours d’or ? Rien à faire. Cent quatorze Ours d’or ? Jamais ! Patte d’Ours soubresautait à chaque pincée d’or jetée sur le trébuchet. Le propriétaire, lui, ne fléchissait point.
Et pourtant, c’est la fortune qu’on lui offrait là : en galopant jusqu’à Emméjecêg, la grosse bête gagnerait mille sept cent dix Ours d’or, seize Pénis, une Canine et quatre cent quatre-vingt-treize Oursings !
Tiomiez Lupp, toujours serein, décida de marchander la propriété de l’animal et compléta sa petite pyramide à deux mille huit cent cinquante et un Ours d’or, neuf Pénis, dix-sept Canines et huit cent vingt-deux Oursings.
Le bougre – reniflait-il une séculaire aubaine ? – glapissait qu’il ne cameloterait jamais !
Ours Kaassis GrosGrizzly tira Myb. Lupp de côté et l’avertit qu’il courait à sa perte. Tiomiez Lupp grommela qu’il n’était point écervelé : même à ourse fois son cours, la grosse bête lui permettrait de regagner les cinquante-sept mille trente et un Ours d’or, huit Pénis, ourse Canines et quatre cent quarante et un Oursings qu’il avait gagés, et s’avérait donc une excellente affaire.
Il se retourna alors vers le propriétaire dont la babine baveuse indiquait clairement que le tas d’or emporterait bientôt sa décision. Il monta coup sur coup à trois mille quatre cent vingt et un Ours d’or, à quatre mille deux cent soixante-dix-sept, à cinq mille cent trente-deux puis à cinq mille sept cent trois ! La truffe de Patte d’Ours, si fraîche et humide habituellement, devenait chaude et sèche.
A cinq mille sept cent trois Ours d’or, deux Pénis, douze Canines et six cent quarante-quatre Oursings, le Rousse’Terrien capitula.
“ Par mes protège-coussinets d’intérieur, glapit Patte d’Ours, l’oliphant vient de faire un bond à Grisbi-Change ! ”
Il fallait encore mettre la patte sur un éclaireur, mais cela ne posa pas de problème. Un gars-ours dégingandé, presque un ourson encore, bonne truffe et œil vif, se présenta à eux.
“ On me surnomme Ma’Ours ”, grognonna-t-il.
Myb. Lupp l’agréa, comptant tripler sa compétence par l’annonce d’une grosse gratification.
Ma’Ours était un conducteur idéal, adepte de l’adage : “ une douce patte d’ours conduit l’oliphant d’une plume légère ”. Il houssa donc la grosse bête sans l’houssiner jamais, et fit retomber de part et d’autre de son dos, sur un bât de bois, des sièges qui paraissaient bien raides.
Myb. Lupp proposa à Ours Kaassis de se joindre à eux jusqu’à la caverne étape d’Emméjecêg. Un pérégrin supplémentaire n’importunerait point leur monture ! Le cinquantenier agréa l’aimable proposition.
On marchanda quelques provisions : galettes de gruau, manioc finement gragé, grémil aux perles tendres. Ours Kaassis GrosGrizzly et Tiomiez Lupp grimpèrent sur les sièges brêlés au bât de l’animal. Patte d’Ours, à chevauchons sur l’oliphant, se tenait derrière le gars-ours éclaireur, lui-même agriffé aux oreilles de la bête, et le soleil courait déjà depuis trois heures lorsque l’équipage, sortant du bourg, pénétra au plus profond des bois.